Ce n’est pas d’un coup de baguette magique que la France va réussir à tourner le dos à 50 ans de désindustrialisation.
La désindustrialisation de la France a démarré en 1975. La chute de l’emploi industriel était alors aussi rapide que celle de l’emploi agricole, commencée bien plus tôt. Mais, si la politique agricole commune a soutenu cette mutation, aucun dispositif n’a accompagné celle de l’industrie. Ainsi en 1990, notre pays avait déjà perdu un quart de ses emplois industriels et nombre de territoires s’étaient vidés de leur substance. Rien de tel en Allemagne, où l’emploi industriel est resté remarquablement robuste.
Tout semblait parfait dans l’imaginaire des technocrates, rêvant d’une France sans usines, à l’économie uniquement servicielle, laissant les tâches moins nobles de la production à des pays moins riches. Cette tendance s’infiltrait dans toutes les couches de la société, notamment dans l’éducation nationale où le travail manuel et l’apprentissage étaient synonymes d’échecs.
Ce n’est que dans les années 2010 qu’on a commencé à comprendre cette erreur historique et que l’idée de faire renaître une politique industrielle en France a pointé son nez. Mais sans véritables réussite, plus dans l’incantation et les bons principes que dans la réalisation effective. En 2018, le lancement du dispositif Territoires d’industrie a montré une intéressante prise de conscience sur l’importance de mener une véritable politique territoriale de réindustrialisation. On a vu certains filières commencer à se constituer autour de vrais partenariats entre les grands groupes et les entreprises de proximité, on a impliqué les collectivités locales, on a commencé à parler d’échange école / industrie, bref ce sont 2 000 projets qui ont été mis en place avec une vision globale autour du foncier, des compétences, des économies d’énergie et de la décarbonation, ou encore du logement des salariés.
Les terribles défaillances de la production française ayant été exposées au grand jour au début de la crise Covid, tout a semblé se construire plus efficacement depuis 2020, avec par exemple le lancement du fonds d’accélération des investissements industriels créé dans le cadre du plan France Relance, doté au départ de 150 millions d’euros, puis réabondé plusieurs fois pour atteindre700 millions d’euros. Ce fonds a permis de créer 38000 emplois, dont 81% portés par des PME et des ETI et 75% localisés dans des territoires fragiles.
En 2021, une dimension « commando » a été ajoutée pour les territoires victimes de restructurations industrielles majeures : la démarche Rebond . Lancée en réponse à la fermeture de l’usine de Bridgestone à Béthune, elle s’appuie cette fois sur un véritable « porte-à-porte » à la rencontre de tous les industriels d’un territoire donné. L’objectif est d’identifier leurs projets d’entreprises dormants ou peinant à avancer, et de leur fournir des moyens financiers bonifiés pour les accélérer. Aujourd’hui, la démarche Rebond a permis d’accélérer 1100 projets sur 20 territoires, pour 1,8milliard d’euros d’investissements productifs, créant 5000 emplois directs.
La passion de l’industrie
Si cette démarche Rebond devait être généralisée, appuyée par un dispositif similaire à celui de France Relance, rapide, déconcentré ou décentralisé, et dégagé de cahiers des charges trop restrictifs, Guillaume Basset et Olivier Lluansi, anciens délégués aux Territoires d’industrie estiment que « 15000 projets nouveaux, pour l’essentiel dans les territoires hors métropole pourraient émerger » . En faisant l’hypothèse que chaque projet représente un investissement moyen de 1,6 million d’euros (moyenne observée pour la démarche Rebond) et que, sur une période de 10 à 15 ans, ce cycle de projets puisse être renouvelé une fois au moins, ce ne sont pas moins de 50 milliards d’euros d’investissement productif et près de 450000 emplois qui pourraient être générés. France 2030, de son côté, pourrait créer 430000 emplois. La combinaison de ces deux démarchent apporte[1]rait donc à notre pays près de 880000 emplois industriels additionnels en 10-15 ans, la majorité dans les territoires ruraux et les villes moyennes.
« Face aux crises que nous traversons, comme la décohésion territoriale et les ruptures d’approvisionnement en produits de base, le potentiel de renaissance industrielle logé dans nos territoires est une ressource aussi essentielle qu’inexploitée. Dans un pays où le socle productif a été extrêmement fragilisé par 40 ans de désindustrialisation, l’objectif d’excellence technologique ne pourra être atteint sans le soutien, et donc la densification et la modernisation, d’un tissu industriel au plus près du terrain », préviennent les deux experts. « La passion pour l’industrie reste intacte dans notre pays. Elle peut être aisément réveillée, stimulée pour permettre à la France de réintégrer le peloton des pays européens ». Mais il reste encore beaucoup à faire.
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