Le futur de la filière nucléaire de la France par une vision et une programmation qui font défaut jusqu’alors.
« Il n'y a pas de grande nation industrielle sans énergie nucléaire », déclarait récemment Bruno Lemaire, en visite à la centrale normande de Paluel. Le ministre de l’économie fixait deux objectifs : « construire dans les délais et dans les coûts impartis 6 nouveaux réacteurs nucléaires EPR 2 avec un premier réacteur qui doit être opérationnel au plus tard en 2035 et si 2034, c'est mieux » et aussi développer « de ce qu'on appelle « les SMR », les réacteurs de petite et de moyenne puissances avec la construction d'un réacteur pilote que nous voulons disponible en 2030 (…) Ce sont des réacteurs qui sont moins coûteux parce qu'ils vont être produits en grande série. Ils garantissent une production d'électricité proche du lieu de consommation, proche de l'industrie, proche des sites industriels, proche des grandes agglomérations. Ce qui veut dire moins d'infrastructures, moins de lignes à très haute tension et donc, en matière de respect de l'environnement, un avantage compétitif considérable ».
Un discours qui n’a pas forcément convaincu pleinement la commission des affaires économiques du Sénat qui a réuni mi-décembre les acteurs majeurs de la filière française du nucléaire et appelé « à relever rapidement le défi de la relance du nucléaire ». Les élus ont déploré « le manque criant d’anticipation du Gouvernement » quant à la disponibilité du par cet demandé « la construction d’au moins 14 EPR, pour maintenir un mix majoritairement nucléaire à l’horizon 2050 ».
Le manque de stratégie a été relevé par Bernard Doroszczuk, président de l’ASN (Autorité de Sureté du Nucléaire) : « Les réacteurs actuels s’arrêteront bien un jour. Il faut l’anticiper et y réfléchir maintenant […] Il faut avoir une approche systémique du nucléaire, sans détacher la production électronucléaire de l’amont et de l’aval du cycle, dont les déchets. C’est l’ensemble du système qui doit faire l’objet d’une vision et d’une programmation. Ce n’est pas dans le texte de loi actuel ».
Bâtir un mix solide
De son côté, Luc Rémont, PDG d’EDF, a évoqué la nécessité d’un financement : « Sur le montage financier, à la fin, il n’y a que deux personnes qui peuvent payer : le client ou le contribuable. […] Le souhait d’EDF est de vendre un service correspondant au coût complet du cycle et au coût du renouvellement. EDF peut-il faire cela dans l’état de la régulation et des règles de marché ? La réponse est non. C’est un sujet sur lequel nous devons travailler avec les autorités gouvernementales et communautaires. Cela peut ne pas suffire […] auquel cas il faudra compléter par des garanties ou des soutiens publics ».
Il a rappelé le besoin de compétences : « Sur l’attractivité de la filière nucléaire, sujet essentiel, je ne suis pas inquiet de la qualité des compétences. Simplement, nous avons un problème de quantité, lié au fait que la filière n’a pas construit de façon industrielle depuis longtemps, que notre pays s’est rétréci sur le plan technique et que nous devrons rénover et construire en même temps ».
Enfin, François Jacq, administrateur général du CEA, a plaidé pour développer la R&D : « Les diverses technologies doivent être articulées, sinon on aura du mal à bâtir un mix solide. C’est bien sur la recherche et l’innovation que l’on doit œuvrer. La recherche est considérée comme une commodité ; elle est tenue pour acquis. Je pense que ce n’est pas le cas, malgré la mobilisation exceptionnelle des équipes du CEA. Nous avons une connaissance en matière de recherche reconnue au niveau mondiale. Les SMR ne sont certes pas la panacée mais j’ai toujours dit que c’était une voie à explorer avec attention ».
Manque d’anticipation
Dans ce contexte, Daniel Gremillet, rapporteur « Le projet de loi présenté par le Gouvernement dégage un sentiment d’inachevé. Focalisé sur les autorisations d’urbanisme ou les évaluations environnementales, il laisse de côté un grand nombre de prérequis de la relance : la stratégie, le financement, les compétences. Il ne résout pas non plus les enjeux de la recherche et du développement (R&D). Je pense à l’adaptation des réacteurs aux nouveaux risques, dont les enjeux climatiques et numériques. Je pense aussi à leur évolution technologique, avec les petits réacteurs modulaires ou les électrolyseurs d’hydrogène. Il faudra plus qu’une loi de simplification pour poser les fondements du nucléaire de demain ! ».
Pour Sophie Primas, présidente de la commission : « Il y a beaucoup à dire sur les atermoiements incessants des 10 dernières années sur le nucléaire. Je suis marquée par le manque généralisé d’anticipation mis en exergue par tous les intervenants : stratégie d’ensemble, développement des compétences, recherche, coopération technique, cycle du combustible, financement, structuration européenne ... rien ne parait suffisamment anticipé alors que par essence cette filière est celle du temps long, voire très long. Il est grand temps de renverser la vapeur, au-delà de la simple accélération des procédures qui nous sont proposées ! ».
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