Les nouveaux habits du salariat

Comment les salariés vivent leur rapport au travail : stables, désengagés ou avant-gardistes.

Le rapport des Français au travail est en constante évolution. Depuis le Covid, on constate que les mouvements sont à la fois plus rapides et plus profonds. Mais il manquait jusqu’alors un outil fiable pour mesurer ces phénomènes, les suivre dans la durée et en tirer des leçons globales. Pour Samuel Tual, président d'Actual group, acteur majeur du travail et l’emploi, « une évolution sociétale est en cours sans doute aussi parce que le rapport de force s’est inversé après la crise sanitaire entre recruteurs et candidats à l’emploi ». Actual group s’est ainsi adressé à Jean Pralong, enseignant-chercheur spécialiste des questions de gestion des ressources humaines à l’EM Normandie, et son équipe pour bâtir un outil inédit : le baromètre du rapport au travail.

Pour donner de la légitimité à cette étude, près de 200 000 individus représentatifs de la population ont été interrogés. L’objectif était d’identifier des grandes familles de comportements par rapport au travail, en caractérisant les actifs selon deux critères : la confiance et l’employabilité. L’employabilité représente les ressources dont chaque individu dispose en termes de compétences et de capacité à s’adapter à l’évolution du marché du travail. La confiance intègre la projection des individus vers l’avenir mais également le capital confiance qu’ils placent en eux-mêmes. « Il n’y a pas un manque de candidats mais un manque de candidatures », souligne Jean Pralong.

On distingue trois groupes d’actifs :

Les stables

C’est le cœur le cœur de la population active : stable par leur employabilité, mais oscillant entre pessimisme et optimisme, ces individus constituent 45,9 % des actifs. Majoritairement en CDI et habitant en zones urbaines, ils sont diplômés au moins d’un bac +2. Les plus optimistes sont plus jeunes, possèdent plus fréquemment un diplôme de niveau Master et encore plus souvent habitants des grandes métropoles. À ce niveau moyen d’employabilité, la confiance dépend directement de l’âge, du diplôme et du lieu d’habitation. La limite d’âge qui sépare les pessimistes des optimistes est étonnamment basse : elle est de 39 ans. Dit autrement, même chez des individus très diplômés, objectivement très employables, s’approcher de la quarantaine signifie perdre en attractivité pour un employeur potentiel et redouter un lent déclassement. Le niveau de confiance n’est pas qu’un état d’esprit. Il déclenche des actions, comme persister à rechercher un emploi ou se résigner après des échecs. Ici se trouve sans doute un premier décalage entre candidats et candidatures. Tandis que certains persistent et réussissent les transitions professionnelles qui émaillent tout parcours, d’autres demeurent des candidats sans candidatures.

Les désengagés

On retrouve ensuite les actifs les plus en difficultés : ce sont les moins employables et les moins optimistes (12,6 %). Sans surprise, on y retrouve les individus les moins qualifiés, les plus âgés et les moins urbains. Ils sont d’anciens salariés des territoires désindustrialisés, mais aussi habitants PAGE 5 de territoires très ruraux, jamais vraiment touchés par un emploi salarié durable. Leur revenu provient d’emplois saisonniers ou précaires, très dépendants des opportunités. Leur pessimisme est fait de clairvoyance : leur âge, leur qualification et leur employabilité ne leur laissent guère imaginer des scenarios d’accès à l’emploi durable. Leur comportement est marqué par la résignation et le désengagement.

Les avant-gardistes

À l’autre bout du spectre apparaît le groupe des actifs très employables et très optimistes (13 %). Très diplômés mais pas les plus jeunes, ils se sentent capables de tirer parti des évolutions sociétales et des mutations économiques. La plupart a quitté le salariat : consultants, auto-entrepreneurs, créateurs de start-ups ou multi-investisseurs, leur confiance en leurs compétences les fait délaisser la sécurité du salariat pour rechercher d’autres aventures plus en phase avec l’époque et plus avant gardistes. Leurs revenus, très au-dessus de la moyenne, confirme leur stratégie.

La fin du CDI ?

Le groupe central des actifs employables représente une petite majorité des Français en âge de travailler. Leur position est instable : il semble qu’un petit perturbateur, comme l’avancée en âge, les fasse passer de la confiance à la défiance puis de l’engagement au désengagement. Ceux-là recherchent la protection du CDI et redoutent de la perdre. Ils sont l’image habituelle qu’on se fait d’une France de salariés confrontés à un marché du travail complexe.

Or cette France du salariat se fragmente et se réduit. Ce groupe dans lequel les entreprises recherchent des candidats se réduit d’abord par la perte de motivation et de confiance en l’avenir de certains. C’est ce désenchantement qui réduit la propension à postuler ou qui produit les comportements erratiques dont les recruteurs se plaignent. Ce groupe se réduit aussi car une partie de ses membres fait sécession.

Les avant-gardistes ne veulent plus du CDI. La protection du salariat est pour eux, sans doute, comme un frein à leurs ambitions et à l’expression de leurs talents. Ils sont de nouvelles élites et, à ce titre, reformulent le rapport à l’emploi de toute la société. Comment, désormais, recruter, engager et fidéliser des cadres dont l’espace logique semble être l’entrepreneuriat et le développement de leurs propres affaires ? Les excellents sont-ils toujours destinés à être salariés ? Reste à considérer le cas de ceux qui échappent au salariat par le bas, ceux dont l’employabilité et les dynamiques personnelles les éloignent des besoins des entreprises. Leur existence n’est pas nouvelle. C’est plutôt l’ampleur de leur résignation qui pose question. Les pratiques d’accompagnement vers l’emploi ciblent-elles cette dimension autant que le développement de leurs compétences ?

   

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