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Restauration : après l'euphorie, la saturation du marché est-elle venue ?

Dans sa traditionnelle étude annuelle, sur la consommation alimentaire hors domicile, le cabinet Gira dévoile les performances du marché de la restauration. Si le secteur montre une nouvelle fois sa résilience, des points d'inquiétude perdurent, notamment dans un contexte d'inflation et de concurrence toujours plus intense.

L'année 2022 avait été qualifiée d'euphorique pour le marché de la restauration, avec une volonté des Français de rattraper deux ans de frustration. Mais qu'en est-il pour l'année 2023, fortement marquée par l'inflation et durant laquelle les questions concernant le pouvoir d'achat étaient prégnantes ? Le cabinet Gira dévoile les résultats de sa traditionnelle étude annuelle portant sur la consommation alimentaire hors domicile. Et les résultats, sur le papier, semblent plutôt bons. Ainsi, la restauration a vu ses performances croître de 7 % par rapport à 2022, année qui, rappelons-le, avait déjà enregistré une croissance de plus de 12 % par rapport à 2019. Bernard Boutboul, président de Gira, souligne :« C'est donc une belle croissance liée, en grande partie, à l'inflation répercutée sur les prix et à l'augmentation des dépenses moyennes des clients au restaurant ».

Si le marché atteint plus de 120 milliards d'euros en 2023, d'autres signaux montrent que tout n'est pas rose pour le marché. "Le chiffre d'affaires augmente, certes, mais le nombre de repas pris à l'extérieur a diminué de 3 %. C'est un recul que nous n'avons pas observé depuis très longtemps", insiste Bernard Boutboul.

Des Français qui dépensent plus mais sortent moins souvent

Autre enseignement important de cette nouvelle mouture : les Français ont fait le choix de rogner sur le nombre de sorties au restaurant mais continuent à se faire plaisir quand ils s'y rendent. Ainsi, le ticket moyen a bondi de 8,9 % en 2023, passant ainsi à 10,40 euros HT. Dans la même veine, le temps de stationnement au restaurant continue de croître et atteint désormais 40 minutes, quand il était de 31 minutes en 2017. Bernard Boutboul précise : « La hausse du chiffre d'affaires s'explique donc en partie par des dépenses plus importantes et un temps de stationnement plus long dans les établissements ».

Malgré tout, l'expert constate logiquement une différence de consommation entre les CSP + et les CSP -. « Certains consommateurs sont plus touchés que d'autres par les problématiques de pouvoir d'achat. D'où la tendance de grandes enseignes de fast-food de multiplier les opérations à petits prix pour faire devenir les clients en masse », insiste Bernard Boutboul.

Concurrence accrue

L'étude Gira pointe également le fait que le marché de la restauration fait face à de plus en plus de concurrence. Selon les chiffres détaillés par Bernard Boutboul, la France compte, en 2023, une unité de restauration pour 170 Français contre 1 unité pour 210 Français il y a 10 ans. L'expert souligne :

Il y a de forte chance pour que la France soit un marché saturé au niveau de la restauration dans les prochaines années. Ce qui est dingue, c'est que la France est un marché plus saturé que les Etats-Unis par exemple.

Et Bernard Boutboul précise : « Il y a trop d'établissements où l'on peut se nourrir face à une population qui n'augmente pas et qui n'augmente pas automatiquement leurs sorties. Nous allons malheureusement vers un niveau historique de défaillances. Les restaurateurs vont devoir remettre en cause leurs business model et leurs offres ». Et parmi les concurrents les plus importants, Gira pointe la poussée des circuits alimentaires alternatifs qui ont grapillé des parts de marchés aux acteurs historiques de la restauration. « Ce sont des commerçants qui ne sont pas restaurateurs mais qui ont adjoint une activité complémentaire », insiste Bernard Boutboul avant d'illustrer : « C'est le cas des stations-services, de la distribution alimentaire de proximité ou encore des cinémas. Parmi les plus importants, on retrouve les boulangeries qui ont fait un travail remarquable depuis 10 ans sur le segment du snacking ».

Selon Gira, sur les 28 000 boulangeries que compte le territoire français, 80 % ne ferment plus entre 13h et 16h. « 40 % du CA est réalisé avec du snacking. Une tendance que l'on perçoit partout sur le territoire, tant dans les grandes agglomérations qu'en milieu rural ». insiste Bernard Boutboul.

Des chaînes délaissées ?

Dans ce contexte de plus en plus concurrentiel, les restaurateurs indépendants sans enseigne affichent une bonne santé, avec un nombre de repas servis en hausse (+ 9,8 %). Pour les 316 chaînes de restaurants répertoriées par Gira, le constat n'est pas le même. « En 2023, les indépendants sans enseigne s'en sortent en effet mieux que les chaînes. C'est la première fois que nous constatons cela », analyse Bernard Boutboul, avant de préciser : « Le nombre de repas stagnent dans les chaînes de restaurant par rapport à 2019 alors que leur nombre d'unités est en croissance. Nous sommes rentrés dans un virage générationnel, qui est complexe à négocier ».

En effet, les enseignes nationales de restauration semblent moins séduire les jeunes générations, en quête avant tout d'expérience. « On est en train de vivre une révolution alimentaire silencieuse. Il va falloir regarder et analyser de près chaque typologie de client pour revoir les stratégies et repositionner éventuellement les offres », insiste Bernard Boutboul.

De l'espoir et des perspectives rassurantes

Malgré les changements de consommation en vue et la saturation du marché qui se profile, les perspectives pour le secteur de la restauration restent plutôt rassurantes à en croire Gira. Bernard Boutboul insiste : « La tendance est positive pour deux raisons. La première : le retour à domicile au déjeuner s'effondre partout. On rentre de moins en moins le midi pour déjeuner et on travaille de plus en plus loin de son lieu d'habitation ».

Et l'expert ajoute : « C'est un super business pour les restaurateurs qui ont une carte à jouer sur le midi semaine ». Deuxième raison : les Français ne savent plus cuisiner. Malgré l'engouement des émissions culinaires, les Français se mettent de moins en moins derrière les fourneaux selon Gira. « Il faut donc trouver des solutions pour manger, que ce soit en famille ou entre amis. Et les consommateurs se réunissent moins chez eux, privilégiant la sortie au restaurant ». Si le marché de la restauration a encore de beaux jours devant lui et est encore porteur, il est certain qu'à terme, dans cet univers ultra-concurrentiel, le nombre d'acteurs diminuera. « Ceux qui  auront réussi à remettre en cause leur modèle économique resteront et perdureront. Ils feront logiquement plus de chiffre d'affaires et seront rentables plus rapidement », conclut Bernard Boutboul.

   

 

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