La Cour des comptes vient de publier un rapport qui détaille l’efficacité (ou non…) des aides de l’Etat auprès des entreprises depuis la crise sanitaire.
L’Etat a engagé plus de 2600 milliards d’euros (Mds €) pour soutenir les entreprises dans le cadre des plans d’urgence (cirse sanitaire) et de résilience (guerre en Ukraine), selon un rapport de la cour des comptes. En intégrant les mesures prévues en 2023, le soutien atteignant 275 Md€. Les prêts garantis par l’Etat pèsent pour 169,1 Mds €, pour un coût de seulement 1,6 Mds €. Ce sont donc bel est bien les entreprises qui supportent le fardeau principal de ces crises successives.
Les autres postes de dépenses sont les subventions (80,6 Mds €). En comptant le PGE mais aussi les reports de paiement des cotisations sociales, le soutien aux entreprises représente 10 % du produit intérieur brut (PIB), pour un effort budgétaire évalué à 82,2 Md€, près de 3,6 % du PIB. In fine, le coût du dispositif dépendra des appels de garantie consécutifs aux défaillances des entreprises ne pouvant rembourser les prêts contractés.
« La France se situe parmi les pays de l’Union européenne qui mobilisent le plus grand nombre de dispositifs et les montants de soutien les plus élevés », écrivent les magistrats. Entre les pays, les choix ont différé : l’Allemagne a davantage utilisé les subventions et autres mesures budgétaires, la France, l’Italie et l’Espagne ont davantage recouru aux mesures de liquidité et de garantie.
Ces interventions massives se sont avérées compatibles avec les règles européennes qui, certes, s’opposent à des soutiens faussant ou menaçant de fausser le concurrence et affectant les échanges entre les États membres, mais autorisent des assouplissements pour « remédier à une perturbation grave de l’économie » et pour « remédier aux calamités naturelles ou autres évènements extraordinaires ».
La Cour des Comptes estime que « les autorités publiques se sont montrées réactives et efficaces dans la conception et la mise en œuvre des soutiens publics aux entreprises au moment de la crise sanitaire » et que « les objectifs apparaissent globalement atteints mais des cas de compensations indues au regard des dommages subis et de fraudes ont été observés ». Près de 187 670 demandes irrégulières ont été identifiées en 2021 et 2022, pour un montant de 472,6 M€ de titres de recouvrement émis. Environ 73,2 M€ avaient effectivement été recouvrés fin 2022 et 161,8 M€ reversés spontanément. Les recouvrements se poursuivent. En 2023, les contrôles viseront plus particulièrement le dispositif de régularisation des montants d’aides perçues pour compenser les coûts fixes. D’autre part, selon le dernier bilan en date d’avril 2023, les services du ministère du travail et de l’ASP ont été en capacité de contrôler au moins une fois 10,3 % des établissements ayant bénéficié de l’activité partielle depuis le début de la crise sanitaire, ce qui a permis de procéder à des régularisations pour un montant total recouvré ou en cours de recouvrement de 217 M€. Compte tenu de la complexité des critères d’éligibilité et de leur variabilité dans le temps selon les vagues épidémiques, les exonérations de cotisations sociales n’ont pas été contrôlées au stade de leur déclaration par les bénéficiaires.
Simplicité puis saupoudrage
Les dispositifs d’aides ont très vite été mis en place par la loi d’urgence et la loi de finances rectificative adoptée le 23 mars 2020. Les autorités ont misé dans un premier temps sur la simplicité des dispositifs en s’appuyant sur des procédures existantes (activité partielle), des tiers connaissant les bénéficiaires potentiels (les banques pour les PGE) et des systèmes d’information aptes au traitement de masse (site impôt.gouv.fr des particuliers pour le fonds de solidarité). Ainsi facilité, le recours à ces soutiens a été particulièrement massif lors de la première vague de l’épidémie (de mars à septembre 2020) : 90 % des 140 Md€ de PGE et 57 % des aides relatives à l’activité partielle ont été sollicités durant la première vague. Dès la deuxième vague de la pandémie, à l’automne 2020, les mesures ont évolué pour répondre aux situations particulières de certains secteurs d’activité. Les critères d’éligibilité se sont complexifiés, en particulier pour le fonds de solidarité, et les délais de versement des aides se sont allongés, traduisant ainsi les contraintes inhérentes à un ciblage des aides sur les entreprises les plus exposées aux conséquences de la crise.
À partir de juillet 2020, un dispositif d’exonération de cotisations et contributions sociales patronales, associé à une aide au paiement des cotisations et contributions sociales initialement égale à 20 % de la masse salariale des mois considérés, a été mis en place pour soutenir la trésorerie des petites et moyennes entreprises (PME). Les critères d’éligibilité ont été modifiés au fil des vagues épidémiques, en lien avec les évolutions du fonds de solidarité. Ce dispositif a bénéficié à un nombre limité d’entreprises : entre 2020 et 2022, 8,5 Md€, dont 4,6 Md€ au titre des exonérations et 4,5 Md€ au titre des aides au paiement, ont été mobilisés pour près de 500 000 entreprises, soit 22 % du nombre total d’entreprises éligibles. 248 700 travailleurs indépendants en 2021 et 155 000 en 2022 ont bénéficié de cette mesure.
Trois mesures à prendre
Pour soutenir les entreprises face à la hausse des prix de l’énergie, la France a mis en place en 2022 plusieurs mesures générales et automatiques de réduction des prix de l’électricité : baisse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) à son niveau minimal, livraison exceptionnelle par EDF de volumes supplémentaires d’électricité à prix réduit en 2022 (ARENH+), bouclier tarifaire électricité à destination des petits professionnels (TPE), amortisseur électricité en 2023, à destination des TPE/PME ne bénéficiant pas du bouclier tarifaire. Des aides aux transporteurs routiers et aux entreprises de travaux publics ont été mises en œuvre en 2022 en se fondant sur la possibilité d’aides de minimis pour octroyer des aides forfaitaires. « L’absence de conditions préalables sur les difficultés économiques, sur le montant des pertes réellement subies et sur la réduction de la consommation d’énergie fossile a exposé les pouvoirs publics aux risques de captation et de saupoudrage de ces aides », regrette la Cour des comptes.
« Avant la crise, les entreprises françaises figuraient déjà parmi les plus endettées de l’Union européenne », constate le rapport. « Cette situation a perduré malgré les aides du plan d’urgence. Pour faciliter les remboursements des PGE et permettre la sauvegarde des entreprises en difficulté, des aménagements ont été prévus avec l’extension de la durée de la garantie de l’État au-delà de six ans. Par ailleurs, le PGE « Résilience » permet de couvrir jusqu’à 15 % du chiffre d’affaires annuel moyen au cours des trois dernières années, il est entièrement cumulable avec le ou les PGE covid, dont le plafond d’emprunt représente 25 % du chiffre d’affaires. Les entreprises détentrices d’un PGE pourront donc emprunter jusqu’à 40 % de leur chiffre d’affaires, ce qui est susceptible d’accroître les difficultés de remboursement. La réponse aux besoins de liquidité des entreprises est allée parfois au-delà de ce qui était strictement nécessaire : combinés aux autres soutiens en trésorerie, les PGE ont, dans certains cas, plus que compensé la chute de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des entreprises qui en ont bénéficié ».
Pour améliorer la qualité des aides publiques octroyées aux entreprises en temps de crise et réduire les dépenses, la Cour identifie trois leviers d’action.
1 - Face à des crises par nature limitées dans le temps, les dispositifs de soutien doivent être temporaires. Un arrêt trop tardif du soutien peut contredire les objectifs d’autres politiques publiques, comme la transition énergétique ou la compétitivité de l’économie. Le pilotage de la sortie des dispositifs de soutien serait grandement facilité par des indicateurs de performance et un dispositif d’évaluation.
2. - Afin de limiter les risques de captation et de saupoudrage des aides, les dispositifs doivent être ciblés sur les entreprises les plus affectées par la crise. La connaissance par les administrations concernées de la situation financière et économique des entreprises doit être améliorée.
3. - L’urgence du déploiement des politiques en période de crise peut être propice aux fraudes. Il convient de se prémunir contre ce risque dès la conception des dispositifs. Les dispositifs anti-fraude doivent être mis en œuvre simultanément aux aides, notamment pour faciliter la récupération des indus, et la dynamique engagée en matière de croisement des fichiers de données administratives poursuivie. Ainsi pour limiter les fraudes relatives à l’activité partielle constatées pendant la crise sanitaire, les services de contrôle de l’État et l’Agence de services et de paiement (ASP) doivent pouvoir réaliser des croisements des données sociales, fiscales et bancaires.
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